La constante de Hubble-Lemaître, H0, est tout à la fois une mesure de la vitesse d’expansion de l’Univers observable et une indication de son âge. Depuis 10 ans, l’écart se creuse entre ces mesures obtenues par deux méthodes. L’étude du rayonnement fossile donne H0 = 67.4 ± 0.5 km s−1 Mpc−1 et les supernovae H0 = 73.0 ± 1.0 km s−1 Mpc−1. Le télescope James-Webb vient de confirmer plus solidement la tension entre les mesures qui sans remettre en cause le Big Bang pourrait indiquer l’existence d’une nouvelle physique.
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On parle depuis quelques années d'une tension dans deux méthodes de détermination de la fameuse loi de Hubble-Lemaître (HL), il s'agit bien d'une tension et pas d'une crise de la cosmologie pour autant que l'on puisse en juger. Le plus probable est que cela se terminera comme dans l'affaire des neutrinos qui semblaient dépasser la vitesse de la lumière, c'est-à-dire par la mise en évidence d'une source d'erreur ayant résisté pendant un temps à la sagacité et la rigueur des chercheurs. On ne peut pas exclure totalement non plus qu'elle soit le signe qu'il va falloir introduire des éléments d'une nouvelle physique. Mais de quoi s'agit-il ?
La loi de Hubble-Lemaître relie la distance des étoiles d'une galaxie à la Voie lactéeVoie lactée au décalage spectral de la lumièrelumière émise par ses étoiles et mesuré finalement aujourd'hui après un voyage dans l'espace de parfois des milliards d'années. On peut l'établir en déterminant selon une méthode la distance de ces étoiles et en mesurant le décalage. Il existe en fait toute une série de méthodes s'appuyant les unes sur les autres pour étalonner la loi de HL dans le cadre de ce que l'on appelle l'échelle des distances cosmiques.
Dans le cadre d'un modèle relativiste cosmologique donné, donc avec une géométrie/topologie d'espace-tempsespace-temps particulière (un espace sphérique ou torique par exemple) et un contenu qui l'est tout autant (avec ou sans matière noirematière noire par exemple), il est possible de déduire non seulement la loi de HL mais aussi une loi plus générale associée aux variations dans le temps de la vitessevitesse d'expansion de l'espace depuis le Big BangBig Bang ou presque.
En cosmologie, on parle de l'échelle des distances cosmiques pour désigner un ensemble de méthodes qui prennent appui les unes sur les autres pour déterminer de proche en proche les distances des astres dans le cosmos observable. Tout commence avec des mesures de parallaxe dans le Système solaire, c'est-à-dire des angles que fait une étoile proche sur la voûte céleste à deux périodes de l'année. La géométrie du triangle permet alors de déduire une distance si les angles sont assez grands pour être mesurables. © Hubble, ESA
Des valeurs divergentes pour la constante de Hubble-Lemaître
Les analyses des caractéristiques du rayonnement fossile mesurées par le satellite Plancksatellite Planck et qui sont très poussées aident à déterminer dans quel modèle nous vivons et que valait la constante de HL environ 380 000 ans après le Big Bang. Le modèle permet alors de calculer la valeur que l'on devrait mesurer aujourd'hui en étudiant des galaxies relativement proches.
On peut faire la même chose en étudiant les supernovaesupernovae de type SNSN Ia. Ce sont des explosions de naines blanchesnaines blanches dont la luminositéluminosité ne doit pas beaucoup varier. Comme ces explosions sont très lumineuses, elles permettent de sonder des distances sur plusieurs milliards d'années, étant attendu que plus une « chandelle standardchandelle standard » est loin moins elle est brillante, ce qui permet de déterminer une distance en comparant luminosité apparente et luminosité absolue. En mesurant un décalage spectral, on en déduit ensuite la valeur de la constante de HL.
C'est à ce jeu qu'a notamment joué le prix Nobel de physique Adam Riess avec ses collègues comme Saul Perlmutter. Mais au cours de ces dernières années, en réduisant les barres d'erreurs, l'écart entre la détermination de la constante de HL au moyen du rayonnement fossilerayonnement fossile et au moyen des supernovae s'est accentué. Les deux valeurs divergent et on ne sait toujours pas vraiment pourquoi.
Futura avait déjà consacré un long article à la désormais célèbre tension associée à la loi de HL à l’occasion des 20 ans de Futura et pour un édito de Françoise Combes.
Une façon d'y voir plus clair et de tenter de rendre encore plus rigoureuses les méthodes qui permettent de déterminer avec les supernovae la valeur de la constante de Hubbleconstante de Hubble-Lemaître. C’est ce que Adam Reiss avait tenté de faire en utilisant le télescope Hubble et ses observations concernant de célèbres étoiles variables que l’on appelle des céphéides.
Adam Riess et ses collègues ont appliqué à nouveau cette stratégie mais en utilisant cette fois-ci le regard plus puissant et notamment dans l'infrarougeinfrarouge proche du télescopetélescope James-Webb, comme l'explique un communiqué de la NasaNasa et comme l'atteste un article dans The Astrophysical Journal que l'on peut lire en accès libre sur arXiv.
Les observations du James-Webb confirment en les affinant celles de Hubble et la conclusion immédiate est que le conflit avec les mesures du rayonnement fossile en sort une fois de plus renforcé.
Dans le communiqué de la Nasa, Reiss explique que pour lui, en ce qui concerne ces nouveaux résultats : « Cela peut indiquer la présence d'une énergie noire exotique, d'une matière noire exotiqueexotique, une révision de notre compréhension de la gravitégravité ou la manifestation d'une théorie unifiée des particules et des champs. L'explication la plus banale serait celle de multiples erreurs de mesure conspirant dans la même direction (les astronomesastronomes ont exclu une seule erreur en utilisant des méthodes indépendantes), c'est pourquoi il est si important de refaire les mesures avec une plus grande précision. Avec Webb confirmant les mesures de Hubble, ses mesures fournissent la preuve la plus solidesolide à ce jour que les erreurs systématiques dans la photométrie des céphéides de Hubble ne jouent pas un rôle significatif dans la tension actuelle. En conséquence, les possibilités les plus intéressantes restent sur la table et le mystère est devenu plus profond. »
Les céphéides, une clé de l'échelle des distances cosmiques
Toujours dans le communiqué de la Nasa, Adam Reiss donne plus de détails sur ce qui a été fait. Il commence par rappeler que les céphéides sont des étoiles variablesétoiles variables dont on s'est aperçu dans la Voie lactée, grâce à des mesures de distance par la méthode de la parallaxeparallaxe, qu'elles possédaient une relation entre la période de variation de leur luminosité et leur luminosité intrinsèque. On pouvait donc s'en servir là aussi comme chandelles standards pour déterminer des distances aux galaxies les plus proches, distances qui une fois connues permettent d'étalonner les estimations des distances des supernovae SN Ia, et finalement d'étalonner la loi de Hubble non plus sur des distances de quelques millions mais de plusieurs milliards d'années-lumièreannées-lumière.
Le premier problème concernant les supergéantes rougessupergéantes rouges que sont les céphéides et qu'au-delà d'une centaine de millions d'années-lumière leur visibilité apparente est particulièrement faible - il faut des instruments avec un fort pouvoir de résolutionrésolution pour les trouver. De plus, la poussière et la matière s'intercalantintercalant entre ces étoiles et les observateurs terrestres rendent leur luminosité apparente plus basse qu'elle ne l'est en réalité.
Ces problèmes que rencontrait déjà le télescope Hubble, le James-Webb y est moins sujet ayant un pouvoir de résolution supérieur et surtout, étant donné que les nuagesnuages poussiéreux sont partiellement transparentstransparents dans le domaine de l'infrarouge accessible avec le JWSTJWST, le biais concernant la luminosité apparente des céphéides est plus faible avec le James-Webb qu'avec Hubble.
Reiss et ses collègues se sont donc concentrés sur un étalonnage plus précis de la relation luminosité/distance des céphéides en étudiant 320 d'entre elles dans la galaxie NGC 4258NGC 4258. Ce qui alors permit d'étalonner de façon plus précise des SN Ia dans des galaxies proches avec des céphéides.
Le saviez-vous ?
Au début du siècle dernier, malgré les arguments visionnaires de Wright et Kant, la majorité des astronomes pensaient que les galaxies n’étaient que des objets particuliers à l’intérieur de notre propre Voie lactée. Tout devait changer grâce à la découverte en 1912 par Henrietta Leavitt d’une relation mathématique précise liant la luminosité d’étoiles variables particulières, des céphéides, à leur période de pulsation, des astres qu'elle avait repérés dans les deux Nuages de Magellan.
On sait aujourd’hui que les céphéides sont des étoiles géantes de classe I en train de faire fusionner leur cœur d’hélium en carbone. L’étoile elle-même est donc enrichie en hélium. Or, la température de l’étoile augmentant, l’hélium de ses couches supérieures s'ionise, ce qui augmente l’opacité de l’étoile. La pression de radiation devenant plus forte, elle peut contrecarrer les forces de gravitation et l’étoile se dilate, devenant ainsi plus brillante puisque sa surface augmente. Ce faisant, sa température diminue et les ions d’hélium finissent par capturer des électrons. L’opacité de l’hélium neutre baissant, la pression de radiation chute et la gravité de l’étoile la fait se contracter. Sa surface et donc aussi sa luminosité diminuent et l’étoile se retrouve au début d’un nouveau cycle de pulsation.
Quatre à quinze fois plus massives que le Soleil, les céphéides sont particulièrement brillantes, de 100 à 300 000 fois plus que notre étoile. La relation trouvée par Henrietta Leavitt donne un moyen puissant de déterminer les distances des galaxies possédant des céphéides. En effet, la relation précise liant luminosité et période de pulsation donne une estimation de la magnitude absolue de ces étoiles. Par conséquent, en comparant leur magnitude apparente avec celle, absolue, obtenue par la relation de Leavitt, on peut estimer la distance à laquelle se trouve l’étoile. C’est le même principe qui permet de connaître la distance d’une bougie en fonction de sa luminosité, elle sera d’autant plus faible que la bougie se trouve loin.
En utilisant la relation de Henrietta Leavitt, Hubble démontra en 1923 que la galaxie d’Andromède était située à plus d'un million d’années-lumière (on estime aujourd'hui cette distance à au moins 2,4 millions d'a.-l.). Étant donné sa taille apparente, elle devait en plus être d’une taille comparable à celle de la Voie lactée. Le royaume des galaxies et des Univers-îles de Kant-Wright s’imposait désormais à l’Humanité.
La relation de Henrietta Leavitt est calibrée d’après les distances des céphéides déterminées par des moyens comme la parallaxe et n’est donc pas exempte d’erreurs. Elle sert à son tour à calibrer la loi de Hubble au prix d'incertitudes. Pour les astronomes, il existe ainsi une gamme de distances que l'on peut déterminer par une succession d'outils opérant à des échelles de plus en plus grandes. Les erreurs se propageant, l’estimation des distances devient de moins en moins précise à mesure que l’on plonge dans les profondeurs de l’Univers observable. En particulier, au-delà de cent millions d’années-lumière, les céphéides deviennent trop peu lumineuses pour être facilement utilisables. Leur luminosité se noie dans celle des galaxies observées.